Arrêt 63 de la Cour constitutionnelle - CSSF responsabilité civile

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 1er avril 2011 un arrêt dans l'affaire n° 00063 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introtroduite par la Cour d’appel, deuxième chambre, siégeant en matière civile, suivant arrêt du 20 octobre 2010, numéro 34376 du rôle, parvenue le 12 novembre 2010 au greffe de la Cour dans le cadre d’un litige opposant :

 

X, directeur commercial, demeurant à (...), 

et 

La Commission de Surveillance du Secteur Financier, établissement public ayant son siège à L-1150 Luxembourg, 110, route d’Arlon, représentée par sa direction actuellement en fonctions, 

La Cour, 

composée de 

Marie-Paule ENGEL, présidente,

Léa MOUSEL, conseillère,

Edmond GERARD, conseiller,

Francis DELAPORTE, conseiller,

Eliette BAULER, conseillère, 

 

greffière : Lily WAMPACH 

 

Sur le rapport du magistrat délégué et sur les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle le 15 décembre 2010 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour la Commission de Surveillance du Secteur Financier ;   

 

rend le présent arrêt : 

 

Considérant que la Cour d’appel, statuant sur l’appel de X contre un jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg ayant dit non fondée sa demande en indemnisation du préjudice subi suite à une décision  de la Commission de surveillance du secteur financier (ci-après la Commission) de refuser sa nomination  à la fonction de dirigeant agréé de la société anonyme UniCredit International Bank (Luxembourg), annulée par jugement du tribunal administratif du 26 mars 2006, confirmé le 13 novembre 2007 par arrêt de la Cour administrative, a saisi, par arrêt du 20 octobre 2010, la Cour constitutionnelle

«  de la question de  la constitutionnalité au regard du principe constitutionnel de l’égalité découlant de l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, du régime de responsabilité dérogatoire au droit commun dont bénéficie la Commission de surveillance du secteur financier en vertu de l’article 20, paragraphe 2, de la loi modifiée du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier, qui dispose que : « Pour que la responsabilité civile de la Commission pour les dommages individuels subis par les entreprises ou les professionnels surveillés, par leurs clients ou par des tiers puisse être engagée, il doit être prouvé que le dommage a été causé par une négligence grave dans le choix et l’application des moyens mis en œuvre pour l’accomplissement de la mission de service public de la Commission » ; 

Considérant que, suivant l’arrêt de la Cour d’appel, X a fondé, en instance d’appel, sa demande en réparation du préjudice subi sur l’article 1er, alinéa 1er, de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité de l’Etat et des collectivités publiques ; 

Considérant que l’article 1er, alinéa 1er, de cette   loi dispose :

« L’Etat et les autres personnes morales de droit public répondent, chacun dans le cadre de ses missions de service public, de tout dommage causé par le fonctionnement défectueux de leurs services tant administratifs que judiciaires, sous réserve de l’autorité de la chose jugée » ; 

Que  l’article 20 de la loi du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier est de la teneur suivante : 

        «  (1) La surveillance exercée par la Commission n’a pas pour objet de garantir les intérêts individuels des entreprises ou des professionnels surveillés ou de leurs clients ou de tiers, mais elle se fait exclusivement dans l’intérêt public.

            (2) Pour que la responsabilité civile de la Commission pour les dommages individuels subis par des entreprises ou des professionnels surveillés, par leurs clients ou par des tiers puissent être engagée, il doit être prouvé que le dommage a été causé par une négligence grave dans le choix et l’application des moyens mis en œuvre pour l’accomplissement de la mission de service public de la Commission » ; 

Que l’article 10bis, alinéa 1er, de la Constitution énonce : « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ; 

Considérant que l’article 1er, alinéa 1er, de la loi du 1er septembre 1988, tel qu’interprété par les juridictions, n’instaure pas de régime spécifique de responsabilité, mais  ne fait  qu’appliquer aux personnes morales de  droit public le principe de la responsabilité civile délictuelle de droit commun qui se fonde sur le concept de la faute simple ; 

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but ; 

Considérant que  la  situation de la Commission, de l’Etat, des autres personnes morales de droit public et des particuliers est  comparable en ce que, pour chacun d’eux,  la responsabilité civile est susceptible d’être engagée pour faute délictuelle.   

Considérant que la différence entre les régimes de responsabilité de la Commission d’une part, de l’Etat et des personnes morales de droit public, en ce qui concerne leurs services administratifs et judiciaires, et des particuliers d’autre part, procède de la mission de surveillance prudentielle du secteur financier conférée à la Commission, cette mission constituant un critère objectif de disparité ; 

Considérant que le Commissariat aux assurances et l’Institut luxembourgeois de régulation, autorités prudentielles dans leurs domaines respectifs, bénéficient également d’un régime de responsabilité limitée aux négligences graves commises dans l’exercice de leurs missions ; 

Considérant que le régime spécifique de la responsabilité de l’autorité de surveillance du secteur financier se meut dans un contexte international où les organes de surveillance étrangers ont été peu à peu soumis à un régime de non- responsabilité  totale ou partielle sinon d’atténuation de responsabilité ; 

Considérant que le législateur, en instaurant un régime particulier d’atténuation de responsabilité de l’autorité chargée de la surveillance prudentielle du secteur financier,  d’une «  mission de police générale destinée à assurer dans l’intérêt public le bon fonctionnement du système financier dans son ensemble »,  (Doc.parl. Projet de loi  N° 3600.3, Amendement gouvernemental, page 2) avait pour objectif   d’éviter une responsabilité qui, eu égard aux « enjeux potentiellement énormes » et à la spécificité de la mission de l’Institut monétaire luxembourgeois, actuellement la Commission de surveillance du secteur financier, exposerait l’organe de surveillance, en cas de soumission de son activité au droit commun de la responsabilité pour faute la plus légère à un risque financier illimité ;    

Considérant que l’article 20, paragraphes 1er et 2, de la loi portant création d’une commission de surveillance du secteur financier, repris de l’article 30, paragraphes 2 et 3, inséré par la loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier dans la loi du 20 mai 1983 portant création d’un Institut Monétaire luxembourgeois, article qui a introduit un régime de responsabilité exigeant la preuve d’une négligence grave des services de l’organisme de surveillance, vise  surtout à empêcher la recherche systématique de la responsabilité  de l’autorité de surveillance du secteur financier, du contrôleur, plutôt que celle des professionnels surveillés du secteur financier, les contrôlés, et à éviter  que la responsabilité de ces derniers ne soit absorbée par celle de la  Commission ; 

Que pareille recherche de responsabilité risque d’intervenir d’autant plus que dans un système de responsabilité tel le système luxembourgeois, où, en cas de concours de fautes d’inégale importance, le mécanisme de l’obligation in solidum oblige l’auteur d’une faute n’ayant contribué que dans une faible ou moindre proportion à la genèse du dommage à supporter l’intégralité de la  réparation à l’égard de la victime, sauf son recours contre les coresponsables, vain en cas de défaillance de ceux-ci ; qu’il en résulterait la mise à contribution systématique d’un responsable à priori de seconde ligne ; 

Considérant qu’il s’ensuit  que  le régime d’atténuation de responsabilité de l’article 20, paragraphe 2, de la loi du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier, dérogatoire au principe de la responsabilité civile délictuelle de droit commun, est  rationnellement justifié ; qu’il est adapté aux objectifs à atteindre et, compte tenu du fait que la Commission reste responsable  de la négligence grave dans le choix et l’application des moyens mis en œuvre pour l’accomplissement de sa mission, il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre l’atténuation de sa responsabilité et les objectifs visés ; 

Que l’article 20, paragraphe 2, de la loi du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier,  en ce qu’il  limite  la responsabilité civile de la Commission pour les dommages individuels subis par des entreprises ou des professionnels surveillés, par leurs clients ou par des tiers  aux dommages causés par une négligence grave dans le choix et l’application des moyens mis en œuvre pour l’accomplissement de la mission de service public de la Commission, n’est dès lors pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution ; 

 

Par ces motifs : 

 

dit que l’article 20, paragraphe 2, de la loi du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier,  en ce qu’il  limite  la responsabilité civile de la Commission de surveillance du secteur financier pour les dommages individuels subis par des entreprises ou des professionnels surveillés, par leurs clients ou par des tiers aux dommages causés par une négligence grave dans le choix et l’application des moyens mis en œuvre pour l’accomplissement de la mission de service public de la Commission, n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution ; 

ordonne que dans les 30 jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Mémorial, recueil de législation ; 

ordonne qu’il soit fait abstraction des nom et prénom de X lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ; 

ordonne que l’expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la deuxième chambre de la Cour d’appel et qu’une copie conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction : 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Madame Marie-Paule ENGEL, présidente, en présence de Madame Lily WAMPACH, greffière.

 

La présidente,                                                                            La greffière,

signé :Marie-Paule ENGEL                                                       signé : Lily WAMPACH

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