Arrêt 116 de la Cour constitutionnelle - omission création commission spéciale harcèlement pour fonctionnaires communaux

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 12 décembre 2014 un arrêt dans l'affaire n° 00116 du registre ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introduite par la Cour administrative, suivant arrêt rendu le 15 juillet 2014, numéro 34192C du rôle, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 17 juillet 2014, 

Entre : 

X , fonctionnaire communal, demeurant à …,

et : 

l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministère d’Etat, dont les bureaux sont établis à L-1352 Luxembourg, 4, rue de la Congrégation,

 

La Cour,

 

composée de

 

Georges RAVARANI, vice-président,

Edmée CONZEMIUS, conseiller,

Irène FOLSCHEID, conseiller,

Carlo HEYARD, conseiller,

Marie-Anne STEFFEN, conseiller,

 

greffier : Lily WAMPACH

 

rend le présent arrêt :

 

Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour le 1er septembre 2014 par le délégué du gouvernement (...) pour le ministre de l’Intérieur et de la Grande Région, celles déposées le 12 septembre 2014 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour X ainsi que les conclusions additionnelles déposées le 13 octobre 2014 par le délégué du gouvernement ; 

Considérant que, saisie, sur appel de X, d’un recours en annulation contre une décision implicite de rejet du ministre de l’Intérieur et de la Grande Région suite à un recours gracieux introduit devant lui contre une décision d’incompétence de la commission spéciale en matière de harcèlement instituée auprès du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative, la Cour administrative a, par arrêt du 15 juillet 2014, soumis à la Cour constitutionnelle les questions préjudicielles suivantes : 

1. « L'article 10, paragraphe 2, dernier alinéa, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État, en ce qu'il institue une commission spéciale en matière de harcèlement compétente pour connaître des réclamations des fonctionnaires de l'Etat qui s'estiment victimes d'un harcèlement, tel que résultant plus particulièrement de la modification opérée par la loi du 17 juillet 2007, est-il conforme à l'article 10bis, paragraphe1er, de la Constitution, dans la mesure où il instaure une différence de traitement en faveur des fonctionnaires de  l'Etat par rapport aux fonctionnaires communaux qui n'ont pas accès à cette commission spéciale en cas de harcèlement ? »

2. «L 'article 12, paragraphe 3, de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, en ce qu'il ne prévoit pas l'institution d'une commission spéciale compétente en matière de harcèlement pour connaître des réclamations des fonctionnaires communaux s'ils s'estiment victimes d'un harcèlement, est-il conforme à 1 'article 10bis, paragraphe 1er , de la Constitution, alors que l'article 10, paragraphe 2, dernier alinéa, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat institue une telle commission spéciale en matière de harcèlement pour les fonctionnaires de l'Etat? »

3. « La loi, prise en ses dispositions combinées des articles 10, paragraphe 2, dernier alinéa,  de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de I'Etat, et 12, paragraphe 3, de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, dans la mesure où elle institue une différence de traitement en ce qu'elle prévoit pour les fonctionnaires de l'Etat une commission spéciale en matière de harcèlement et qu'elle n'en prévoit pas pour les fonctionnaires communaux, est-elle conforme à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution »?

Considérant que les questions tendant chacune à rechercher si l’exclusion d’un fonctionnaire communal de l’accès à la commission spéciale prévue pour les fonctionnaires de l’Etat et l’omission d’instituer une commission spéciale pour les fonctionnaires communaux constituent, par cette différence de traitement, une violation de l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, il y a lieu de les traiter ensemble ; 

Considérant que l’article 10 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat dispose: 

« 1.Le fonctionnaire doit, dans l'exercice comme en dehors de l'exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.

Il est tenu de se comporter avec dignité et civilité tant dans ses rapports de service avec ses supérieurs, collègues et subordonnés que dans ses rapports avec les usagers de son service qu'il doit traiter avec compréhension, prévenance et sans aucune discrimination.

2. Le fonctionnaire doit s’abstenir de tout fait de harcèlement sexuel ou harcèlement moral à l’occasion des relations de travail de même que de tout fait de harcèlement visé aux alinéas 6 et 7 du présent paragraphe.

Constitue un harcèlement sexuel à l’occasion des relations de travail au sens de la présente loi tout comportement à connotation sexuelle ou tout autre comportement fondé sur le sexe dont celui qui s’en rend coupable sait ou devrait savoir qu’il affecte la dignité d’une personne au travail, lorsqu’une des trois conditions suivantes est remplie:

a) le comportement est intempestif, abusif et blessant pour la personne qui en fait l’objet;

b) le fait qu’une personne refuse ou accepte un tel comportement de la part d’un collègue ou d’un usager est utilisé explicitement ou implicitement comme base d’une décision affectant les intérêts de cette personne en matière professionnelle;

c) un tel comportement crée un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant à l'égard de la personne qui en fait l'objet.

Le comportement peut être physique, verbal ou non-verbal.

L’élément intentionnel du comportement est présumé.

Constitue un harcèlement moral à l'occasion des relations de travail au sens du présent article toute conduite qui, par sa répétition ou sa systématisation, porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychique ou physique d'une personne. Est considéré comme harcèlement tout comportement indésirable lié à l'un des motifs visés à l'alinéa 1er de l'article 1bis, qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

Est considéré comme harcèlement tout comportement indésirable lié au sexe d’une personne qui a pour objet ou pour

effet de porter atteinte à la dignité d’une personne ou à l’intégrité physique et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

Il est institué une commission spéciale auprès du ministre ayant la Fonction Publique dans ses attributions, désigné ci-après par le terme «ministre», chargée de veiller au respect des dispositions prévues au présent paragraphe. Dans le cadre de cette mission, la commission peut notamment entendre les personnes qui s’estiment victimes d’un harcèlement sexuel ou moral ainsi que les autres agents de l’administration d’attache du fonctionnaire en cause. Si la Commission considère que les reproches sont fondés, elle en dresse un rapport qu’elle transmet au ministre avec des recommandations pour faire cesser les actes de harcèlement. Le ministre transmet le rapport de la Commission au Gouvernement en conseil qui statue dans le délai d’un mois à partir de la remise du rapport au ministre. Le fonctionnement et la composition de la commission spéciale sont fixés par voie de règlement grand-ducal. »

Considérant que l’article 12 de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux énonce : 

« 1. Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public. Il est tenu de se comporter avec dignité et civilité et faire preuve de courtoisie tant dans ses rapports de service avec ses supérieurs, collègues et subordonnés que dans ses rapports avec les usagers de son service qu’il doit traiter avec compréhension, prévenance et sans aucune discrimination.

2. Le fonctionnaire ne peut solliciter, accepter ou se faire promettre d’aucune source, ni directement ni indirectement, des avantages matériels dont l’acceptation pourrait le mettre en conflit avec les obligations et les défenses que lui imposent les lois et les règlements et notamment le présent statut.

3. Le fonctionnaire doit s’abstenir de tout fait de harcèlement sexuel ou harcèlement moral à l’occasion des relations de travail de même que de tout fait de harcèlement visé «aux alinéas 6 et 7 du présent paragraphe.

Constitue un harcèlement sexuel à l’occasion des relations de travail au sens de la présente loi tout comportement à connotation sexuelle ou tout autre comportement fondé sur le sexe dont celui qui s’en rend coupable sait ou devrait savoir qu’il affecte la dignité d’une personne au travail, lorsqu’une des trois conditions suivantes est remplie:

a) le comportement est intempestif, abusif et blessant pour la personne qui en fait l’objet;

b) le fait qu’une personne refuse ou accepte un tel comportement de la part d’un collègue ou d’un usager est utilisé explicitement ou implicitement comme base d’une décision affectant les intérêts de cette personne en matière professionnelle;

c) un tel comportement crée un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant à l'égard de la personne qui en fait l'objet.

Le comportement peut être physique, verbal ou non-verbal.

L’élément intentionnel du comportement est présumé.

Constitue un harcèlement moral à l’occasion des relations de travail au sens du présent article toute conduite qui, par sa répétition ou sa systématisation, porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne.

 Est considéré comme harcèlement tout comportement indésirable lié à l'un des motifs visés à l'alinéa 1er de l'article 1bis, qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

Est considéré comme harcèlement tout comportement indésirable lié au sexe d’une personne qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne ou à l’intégrité physique et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »

Considérant que selon l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution les luxembourgeois sont égaux devant la loi ; 

Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard des mesures invoquées ; 

Considérant que les articles 33 du statut général des fonctionnaires de l’Etat et 37 du statut général des fonctionnaires communaux sont analogues dans la mesure où ils règlent, sous les spécificités liées à la profession, la procédure du droit de réclamation du fonctionnaire contre tout acte de la part de ses supérieurs ou d’autres agents publics le blessant dans sa dignité ;  

Considérant que les fonctionnaires de l’Etat et les fonctionnaires communaux sont comparables en leur qualité d’agents de droit public et au regard de leur situation statutaire, notamment en ce qui concerne la procédure de réclamation ;

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à la condition que la disparité existant entre elles soit objective, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée au but ; 

Considérant que la commission spéciale en matière de harcèlement a été introduite dans le statut général des fonctionnaires de l’Etat par la loi du 17 juillet 2007 ; que le motif du législateur était de soumettre cette problématique, souvent sensible, à un organisme spécialisé et de préciser la procédure et les modalités de traitement d’éventuelles plaintes ; 

Considérant que le législateur n’a pas introduit de commission spéciale correspondante dans le statut général des fonctionnaires communaux ; 

Considérant qu’en limitant les pouvoirs de la commission spéciale existante aux fonctionnaires de l’Etat et en omettant la création d’une commission spéciale pour le secteur des fonctionnaires communaux, le législateur a créé une disparité ; 

Considérant que cette disparité n’est pas rationnellement justifiée, ni adéquate, ni proportionnée au but d’efficacité affirmée par le législateur en matière d’interdiction et de sanction du fait de harcèlement auquel est susceptible d’être exposé un agent public  ; 

Considérant que l’omission de créer une commission spéciale compétente pour les fonctionnaires communaux à l’instar de la commission spéciale en matière de harcèlement prévue par l’article  10, paragraphe 2, dernier alinéa, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État, entraîne une inégalité se heurtant à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution ; 

Considérant que législateur n'ayant pas été obligé de créer une commission spéciale compétente pour les fonctionnaires de l'Etat ni, d'ailleurs pour les fonctionnaires communaux, les dispositions respectives des articles 10, paragraphe 2, dernier alinéa, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État et 12, paragraphe 3, de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, prises isolément, ne sont pas contraires à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution ; 

Considérant que l'institution d'un droit de recours à la commission spéciale constitue une mesure dérogatoire au droit commun applicable en la matière; 

Considérant qu'en cas d'institution d'une mesure dérogatoire au droit commun qui viole l'égalité devant la loi, c'est le droit commun qui doit prévaloir; 

Que, par conséquent, à défaut, par le législateur, d'avoir institué un droit de recours en matière de harcèlement moral au profit de l'ensemble des fonctionnaires, l'article 10 de la loi modifiée du 16 avril 1979, en tant qu'il institue une commission spéciale au profit des seuls fonctionnaires étatiques, sans qu’une mesure législative correspondante institue une commission spéciale au profil des fonctionnaires communaux, est contraire à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution;

 

                                              Par     ces      motifs :

 

dit, en réponse aux trois questions, que l’article 10, paragraphe 2, dernier alinéa, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État n'est pas conforme à l'article 10bis, paragraphe 2, de la Constitution; 

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt sera publié au Mémorial, Recueil de législation ; 

ordonne qu'il sera fait abstraction des nom et prénom de X lors de la publication de l'arrêt au Mémorial;

ordonne que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour Constitutionnelle à la Cour administrative dont émane la saisine et qu’une copie certifiée conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction; 

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le vice-président Georges RAVARANI, en présence du greffier Lily WAMPACH.

 

        Le greffier,                                                      Le président,

 signé : Lily WAMPACH                              signé : Georges RAVARANI                             

 

 

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