Ordonnance du tribunal administratif dans le cadre de la révocation du président du Fonds du Logement

Le tribunal administratif a rendu en date du 4 juin 2015 une ordonnance dans l'affaire N° 36255  du rôle ayant pour objet la requête en institution d’un sursis à exécution introduite par Monsieur XXX, Luxembourg, contre différents arrêtés grand-ducaux et décisions ministérielles en matière de fonction publique – révocation/changement de fonctions.

Vu la requête inscrite sous le numéro 36255 du rôle et déposée le 8 mai 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur XXX, premier conseiller du gouvernement affecté au ministère de l’Economie et détaché au Conseil de la Concurrence, tendant à voir prononcer un sursis à exécution par rapport à : 

-          l'arrêté grand-ducal du 18 mars 2015 par lequel il a été « révoqué des fonctions de président et de membre effectif du comité-directeur du Fonds pour le développement du logement et de l'habitat » ;

-          l'arrêté grand-ducal du 18 mars 2015 par lequel il a été « révoqué des fonctions de président et de membre effectif du comité-directeur du Fonds d'assainissement de la Cité Syrdall » ;

-          l'arrêté grand-ducal du 25 mars 2015 « modifiant l'arrêté grand-ducal du 26 novembre 2010 portant nomination des membres effectifs et des membres suppléants du comité-directeur du Fonds d'assainissement de la Cité Syrdall [par lequel] Madame XXX, attachée de Gouvernement 1ère en rang au Ministère du Logement, a été nommée membre effectif du comité-directeur du Fonds d'assainissement de la Cité Syrdall » ;

-          l'arrêté grand-ducal du 1er avril 2015 « modifiant l'arrêté grand-ducal du 18 octobre 2013 portant nomination des membres effectifs et des membres suppléants du comité-directeur du Fonds pour le développement du logement et de l'habitat [par lequel] Madame XXX, attachée de Gouvernement 1ère en rang au Ministère du Logement, a été nommée présidente du comité-directeur du Fonds pour le développement du logement et de l'habitat » ;

-          la « décision implicite de révocation du requérant de ses fonctions de « membre du conseil d'administration du Fonds Belval » suite à l'arrêté grand-ducal du 26 juin 2014 portant nomination de Madame YYY en tant que « membre du conseil d'administration du Fonds Belval (...) en remplacement de Monsieur XXX » ;

-          la « décision implicite de révocation du requérant de ses fonctions de Coordinateur général du Ministère du Logement suite à l'arrêté grand-ducal du 20 mars 2014 par lequel Madame YYY a été nommée Premier Conseiller de Gouvernement avec la fonction de Coordinateur général du Ministère du Logement en remplacement du requérant », 

un recours en réformation sinon en annulation dirigé contre lesdites décisions, inscrit sous le numéro 36254 du rôle, introduit le 8 mai 2015, étant pendant devant le tribunal administratif; 

Vu la note de plaidoiries déposée par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, pour l’Etat; 

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives; 

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions expresses critiquées; 

Maître Jean-Marie BAULER, pour le demandeur, ainsi que Maître Laurent NIEDNER, pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, et Maître Jean KAUFFMANN, pour Madame XXX, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 juin 2015. 

Par requête déposée le 8 mai 2015, inscrite sous le numéro 36254 du rôle, Monsieur XXX a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre 

- l'arrêté grand-ducal du 18 mars 2015 par lequel il a été « révoqué des fonctions de président et de membre effectif du comité-directeur du Fonds pour le développement du logement et de l'habitat »; 

- l'arrêté grand-ducal du 18 mars 2015 par lequel il a été « révoqué des fonctions de président et de membre effectif du comité-directeur du Fonds d'assainissement de la Cité Syrdall »; 

- l'arrêté grand-ducal du 25 mars 2015 « modifiant l'arrêté grand-ducal du 26 novembre 2010 portant nomination des membres effectifs et des membres suppléants du comité-directeur du Fonds d'assainissement de la Cité Syrdall [par lequel] Madame XXX, attachée de Gouvernement 1ère en rang au Ministère du Logement, a été nommée membre effectif du comité-directeur du Fonds d'assainissement de la Cité Syrdall »; 

- l'arrêté grand-ducal du 1er avril 2015 « modifiant l'arrêté grand-ducal du 18 octobre 2013 portant nomination des membres effectifs et des membres suppléants du comité-directeur du Fonds pour le développement du logement et de l'habitat [par lequel] Madame XXX, attachée de Gouvernement 1ère en rang au Ministère du Logement, a été nommée présidente du comité-directeur du Fonds pour le développement du logement et de l'habitat »; 

- la « décision implicite de révocation du requérant de ses fonctions de « membre du conseil d'administration du Fonds Belval » suite à l'arrêté grand-ducal du 26 juin 2014 portant nomination de Madame YYY en tant que « membre du conseil d'administration du Fonds Belval (...) en remplacement de Monsieur XXX »; 

- la « décision implicite de révocation du requérant de ses fonctions de Coordinateur général du Ministère du Logement suite à l'arrêté grand-ducal du 20 mars 2014 par lequel Madame YYY a été nommée Premier Conseiller de Gouvernement avec la fonction de Coordinateur général du Ministère du Logement en remplacement du requérant». 

Par requête séparée du même jour, inscrite sous le numéro 36255 du rôle, Monsieur XXX a introduit une demande tendant à voir instituer un sursis à exécution des susdites décisions en attendant que le tribunal administratif se soit prononcé sur l’affaire au fond. 

Le demandeur estime que l'exécution des décisions critiquées risque de lui causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l'appui du recours au fond sont suffisamment sérieux pour justifier la mesure sollicitée. 

Au titre d’un risque de préjudice grave et définitif, il invoque en premier lieu l’existence d’un préjudice moral. 

Il fait en effet valoir que depuis la prise des décisions litigieuses, il aurait été atteint dans son honorabilité, sa probité et sa dignité. Ainsi, les reproches -qu’il conteste quant à leur matérialité- libellés à son encontre par le gouvernement et communiqués au grand public, via la presse quotidienne, « afin de convaincre l'opinion publique de la légitimité et de la légalité des reproches mis, à tort, à charge du requérant » et « dans le seul but de [le] discréditer » l’auraient « systématiquement stigmatisé d'un point de vue personnel aux yeux de l'opinion publique et décrédibilisé d'un point de vue professionnel ». 

Or, pareille atteinte à sa dignité et sa probité serait tant grave que définitive puisque qu’elle ne saurait être rétablie par une décision d’annulation, de même qu’elle ne serait pas compensable via une action en responsabilité civile. 

Dans un deuxième ordre d’idées, le demandeur entend encore faire valoir un préjudice financier important du fait des décisions litigieuses. Ainsi, il subirait une diminution de sa rémunération mensuelle brute de l'ordre de « 5.466.- € (i.e. Fonds du logement : 3.200 €, Fonds d'assainissement de la Cité Syrdall : 730 €, Fonds Belval : 1.123 € et Diverses Sociétés : 413 €) ». 

A l’appui de son recours au fond, le demandeur soulève différents moyens. 

Concernant les deux arrêtés grand-ducaux du 18 mars 2015, ces moyens sont tirés de : 

-          la violation des articles 44 et suivants de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désignée par le « statut général des fonctionnaires », au motif qu’il s’agirait d’une sanction disciplinaire déguisée et partant d’un détournement de pouvoir;

-          une erreur manifeste d'appréciation, sinon une erreur de droit, au motif que les postes qu’il occupait ne constitueraient pas des postes qui sont à la disposition du gouvernement, de sorte qu’il ne serait pas révocable pour des raisons de «confiance et d'identité de vues entre [la personne occupant ces postes] et le Gouvernement », d’une part, et que les justifications avancées ne seraient pas réelles, d’autre part;

-          violation de l'article 1er du statut général des fonctionnaires;

-          violation de l'article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé le « règlement du 8 juin 1979 », en ce que l'intérêt de service, au sein du poste de départ et de celui d’arrivée, justifiant son changement de fonction et d’administration ne serait pas motivé. 

Concernant les deux arrêtés grand-ducaux des 25 mars et 1er avril 2015, les moyens sont tirés de la : 

-          violation de l'article 2, paragraphe 2, du statut général des fonctionnaires, au motif que les vacances de postes afférentes n’auraient pas été portées à la connaissance des intéressés par la voie appropriée;

-          violation de l’article 1er du statut général des fonctionnaires, de l’article 61 de la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l'aide au logement et de l’article 10 de la loi du 10 décembre 1998 portant création de l'établissement public dénommé «Fonds d'assainissement de la Cité Syrdall ». 

Concernant les deux décisions implicites de révocation, le demandeur soulève : 

-          la violation de l'article 9 du règlement du 8 juin 1979, au motif qu’il aurait été surpris par ces décisions et qu’il n’aurait pas été entendu en ses observations;

-          violation de l'article 6 du règlement du 8 juin 1979 et, pour ce qui concerne la première de ces décisions implicites, la violation des articles 5 (2) et 5 (3) de la loi du 25 juillet 2002 portant création d'un établissement public pour la réalisation des équipements de l'Etat sur le site de Belval-Ouest et celle de l'article 2.4.2 du statut général des fonctionnaires. 

Les parties défenderesse et tierce intéressée se rejoignent en substance pour conclure au rejet de la demande en institution d’une mesure provisoire, le demandeur ne justifiant pas l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif et son recours au fond ne présentant pas de sérieuses chances de succès. 

En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance. 

Une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif. 

Un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. 

Un préjudice est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l'acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d'un préjudice définitif. - Pour l'appréciation du caractère définitif du dommage, il n'y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l'application de l'acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l'intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle générale, peut être réparé ex post par l'allocation de dommages-intérêts. Ce n'est que si l'illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu'une réparation en nature, pour l'avenir, ne sera pas possible, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l'article 11 de la loi du 21 juin 1999. 

En l’espèce, force est de prime abord de constater que l’exécution des décisions querellées, spécialement les arrêtés grand-ducaux portant révocation et remplacement de Monsieur XXX en tant que président et membre effectif du comité-directeur du Fonds pour le développement du logement et de l'habitat et président et membre effectif du comité-directeur du Fonds d'assainissement de la Cité Syrdall, qui remontent au mois de mars 2015, est d’ores et déjà engagée, en ce sens que Monsieur XXX n’est plus en place et qu’il a été remplacé. 

D’autre part, la médiatisation des difficultés entre Monsieur XXX et le gouvernement, qui a été très forte, est à tel point acquise que dès à présent le grand public n’ignore plus rien des tenants et aboutissants de l’affaire. - Dans ce contexte, aux yeux du soussigné, les parties au litige, tant l’une que l’autre, semblent apprécier à prendre l’opinion publique à témoin de leurs différends et de la justesse de leur cause. 

Il s’ensuit que le préjudice moral allégué est entièrement, sinon en grande partie, consommé et, sous ce regard, le demandeur n’a plus d’intérêt à demander la suspension de l’exécution des décisions litigieuses. 

Au-delà, l’action du demandeur n’entend d’ailleurs pas prévenir un dommage moral que l’exécution des décisions litigieuses est susceptible de lui causer, mais il entend en réalité voir réparer le préjudice que ces décisions lui ont ou lui auraient causé. 

Or, si la mesure provisoire qu’est le sursis à exécution est, de par sa nature, un instrument pour prévenir la réalisation d’un préjudice moral du fait de l’exécution d’un acte administratif, elle n’est pas un instrument pour réparer un préjudice moral causé par pareille exécution, cette réparation n’étant susceptible d’être procurée au demandeur que par la décision définitive du litige par les juges du fond, respectivement par l’allocation d’une indemnisation par le juge civil. 

L’existence d’un risque de préjudice moral grave et définitif n’est partant pas établie en cause. 

Le demandeur entend encore se prévaloir d’un risque de préjudice financier du fait de la diminution de sa rémunération mensuelle brute de l'ordre de 5.466.- €, en raison de la perte des indemnisations complémentaires que ses attributions spéciales lui procuraient. 

Un préjudice de nature essentiellement pécuniaire n’est pas, en soi, grave et difficilement réparable. En effet, pareil préjudice est, en principe, réparable puisqu’il peut être entièrement compensé par l’allocation de dommages et intérêts. 

En l’espèce, s’il est vrai que l’exécution des décisions de révocation litigieuses diminue de façon certaine les revenus mensuels bruts dont bénéficiait le demandeur antérieurement, il n’en reste pas moins que l’intéressé, en tant que premier conseiller du gouvernement, continue de profiter de moyens financiers qui devraient lui garantir de ne pas tomber dans une situation de besoin et vivre dans des conditions contraires à la dignité humaine.

Il s’ensuit que la perte financière alléguée n’appert pas être telle qu’en l’absence de suspension des décisions de révocation litigieuses, le demandeur serait exposé au risque de ne plus pouvoir mener une vie décente dans l’attente de la décision au fond. 

L’existence d’un risque de préjudice financier grave et définitif n’est partant pas non plus établie en cause. 

Par voie de conséquence, la première condition légale requise pour l’institution d’un sursis à exécution consistant en l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif ne se trouve pas vérifiée en l’espèce et le demandeur est partant à débouter de sa demande, sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question des chances de succès de son recours au fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

 

Par ces motifs,

 

le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ; 

reçoit la demande en institution d’un sursis à exécution en la forme ; 

au fond, la déclare non justifiée et en déboute ; 

condamne le demandeur aux frais. 

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 4 juin 2015 par M. Campill, président du tribunal administratif, en présence de M. Weber, greffier.

 

Weber                                                                                                          Campill

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