Arrêt 124 de la Cour constitutionnelle - autre cas de litige en matière de droit du travail concernant une demande de remboursement d'indemnités de chômage

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 8 juillet 2016 un arrêt dans l’affaire

n° 00124 du registre ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, introduite par la Cour d’appel, huitième chambre, siégeant en matière de droit du travail, suivant arrêt no 26/16 - VIII - Travail (numéro 40736 du rôle) rendu le 22 février 2016, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 22 février 2016, dans le cadre d’un litige se mouvant

 

Entre :

 

XXX, demeurant à L-XXX,

et :

1) la société à responsabilité limitée XXX, établie et ayant son siège social à L-XXX, représentée par ses gérants,

2) l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par son ministre d’Etat,  

 

La Cour,

 

composée de

 

Georges SANTER, président,

Francis DELAPORTE, vice-président,

Romain LUDOVICY, conseiller,

Jean-Claude WIWINIUS, conseiller,

Carlo HEYARD, conseiller,

 

greffier : Lily WAMPACH

 

Sur le rapport du magistrat délégué et sur les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle par Maître Karim SOREL, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour et au nom d’XXX, le 10 mars 2016, et celles déposées par Maître Frédéric FRABETTI, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour et au nom de la société à responsabilité limitée XXX, le 25 mars 2016,

 

ayant entendu en leurs plaidoiries les mandataires des parties concluantes à l’audience publique du 27 mai 2016,

 

 

rend le présent arrêt :

 

Considérant que par arrêt du 22 février 2016, la Cour d’appel, siégeant en matière de droit du travail, saisie par XXX, ayant démissionné de son emploi auprès de la société à responsabilité limitée XXX pour faute grave de l’employeur, d’une demande en indemnisation dirigée contre ce dernier, ainsi que d’un recours de l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, agissant en sa qualité de gestionnaire du Fonds pour l’emploi, tendant au remboursement des indemnités de chômage complet versées au salarié, après avoir retenu dans un précédent arrêt du 12 mars 2015 que la démission du salarié pour faute grave de l’employeur était justifiée, a saisi la Cour constitutionnelle des questions préjudicielles suivantes :

« L'article L. 124-6 du Code du travail qui prévoit le droit à une indemnité de préavis pour les salariés licenciés par leur employeur avec effet immédiat et dont le licenciement est jugé abusif par la suite par la juridiction du travail, mais qui ne prévoit pas la même indemnité pour les salariés à l'initiative d'une résiliation de leur contrat de travail pour faute grave dans le chef de l'employeur et dont la résiliation est jugée justifiée et fondée par la suite par la juridiction du travail, traitant ainsi de manière différente ces deux catégories de salariés, est-il conforme au principe d'égalité devant la loi consacré par l'article 10 bis (1) de la Constitution ?» ;

« L'article L. 124-7 du Code du travail qui prévoit le droit à une indemnité de départ pour les salariés licenciés par leur employeur avec effet immédiat et dont le licenciement est jugé abusif par la suite par la juridiction du travail, mais qui ne prévoit pas la même indemnité pour les salariés à l'initiative d'une résiliation de leur contrat de travail pour faute grave dans le chef de l'employeur et dont la résiliation est jugée justifiée et fondée par la suite par la juridiction du travail, traitant ainsi de manière différente ces deux catégories de salariés, est-il conforme au principe d'égalité devant la loi consacré par l'article 10 bis (1) de la Constitution ?» ;

 

Considérant que l'article L. 124-6 du Code du travail dispose :

« La partie qui résilie le contrat à durée indéterminée sans y être autorisée par l’article L. 124-10 ou sans respecter les délais de préavis visés aux articles L. 124-4 et L. 124-5 (en fait : les articles L. 124-3 et L. 124-4) est tenue de payer à l’autre partie une indemnité compensatoire de préavis égale au salaire correspondant à la durée du préavis ou, le cas échéant, à la partie de ce délai restant à courir.

 

L’indemnité prévue à l’alinéa qui précède ne se confond ni avec l’indemnité de départ visée à l’article L. 124-7 ni avec la réparation visée à l’article L. 124-10.

(…) » ;

 

Considérant que l'article L. 124-7 du Code du travail dispose en son paragraphe 1 :

« Le salarié lié par un contrat de travail à durée indéterminée qui est licencié par l’employeur, sans que ce dernier y soit autorisé par l’article L. 124-10, a droit à une indemnité de départ après une ancienneté de services continus de cinq années au moins auprès du même employeur, lorsqu’il ne peut faire valoir des droits à une pension de vieillesse normale ; (…) » ;

 

Considérant que l'article L. 124-10 du Code du travail dispose en son paragraphe 1 :

« Chacune des parties peut résilier le contrat de travail sans préavis ou avant l’expiration du terme, pour un ou plusieurs motifs graves procédant du fait ou de la faute de l’autre partie, avec dommages et intérêts à charge de la partie dont la faute a occasionné la résiliation immédiate.

Le salarié licencié conformément à l’alinéa qui précède ne peut faire valoir le droit à l’indemnité de départ visée à l’article L. 124-7. » ;

 

Considérant que l'article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution énonce :

« Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. » ;

 

Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure invoquée ;

Considérant que le salarié licencié avec effet immédiat par son employeur et dont le licenciement est par la suite jugé abusif par la juridiction du travail et le salarié qui a résilié son contrat de travail avec effet immédiat pour faute grave de l'employeur et dont la résiliation est par la suite jugée justifiée par la juridiction du travail se trouvent dans une situation comparable en ce que, dans les deux hypothèses, la rupture de la relation de travail est imputable à l’employeur ;

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives et qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but ;

Considérant que suivant la jurisprudence des juridictions du travail, seul le salarié licencié abusivement avec effet immédiat par son employeur peut prétendre aux indemnités de préavis et de départ prévues respectivement aux articles L. 124-6 et L. 124-7 du Code du travail, tandis que le salarié qui a démissionné de façon justifiée avec effet immédiat pour faute grave de l’employeur ne peut se voir allouer que des dommages-intérêts sur base de l’article L. 124-10 du même code ;

 

Qu’à la différence des dommages-intérêts, dont l’allocation présuppose la preuve de l’existence d’un préjudice en relation causale avec la rupture de la relation de travail, l’indemnité compensatoire de préavis et l’indemnité de départ sont des indemnités forfaitaires revenant au salarié du seul fait du caractère abusif du licenciement avec effet immédiat ;   

 

Considérant que les dispositions sous examen, en ce qu’elles n’accordent pas au salarié qui a résilié son contrat de travail avec effet immédiat pour faute grave de l’employeur et dont la résiliation est déclarée justifiée par la juridiction du travail, le bénéfice des indemnités de préavis et départ qui reviennent de plein droit au salarié dont le licenciement avec effet immédiat par l’employeur est déclaré abusif, instituent entre ces deux catégories de salariés se trouvant dans des situations comparables une différence de traitement qui ne procède pas de disparités objectives et qui n’est pas rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but ;

 

Considérant qu’il y a partant lieu de dire, par rapport aux deux questions préjudicielles posées, que les articles L. 124-6 et L. 124-7 du Code du travail ne sont pas conformes au principe d'égalité devant la loi consacré par l'article 10bis, paragraphe1, de la Constitution ; 

 

 

 

                                                           Par ces motifs :

 

 

dit que par rapport aux questions préjudicielles posées, les articles L. 124-6 et L. 124-7 du Code du travail ne sont pas conformes au principe d'égalité devant la loi consacré par l'article 10bis, paragraphe1, de la Constitution ; 

 

dit que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt sera publié au Mémorial, recueil de législation ;

 

dit qu’il sera fait abstraction des nom et prénom d’XXX ainsi que de la dénomination de la société à responsabilité limitée XXX lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ;

 

dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle à la Cour d’appel, juridiction dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Georges SANTER, en présence du greffier Lily WAMPACH.

 

 

 

 

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